jeudi, juillet 4, 2024

Terra Memoria

NOTES FINALES

Note de l'auteur
8/10
Note RPG
6/10

Oublier son passé, c’est prendre le risque de le voir se répéter. Ce qui devient un vrai problème quand la société toute entière s’est refondée autour de la transmission orale des savoirs et s’est mise à dédaigner les livres pour les mettre au rebut. Parce qu’au-delà d’une ou deux générations, rien ne survit avec exactitude. Tout devient alors affaire d’interprétations, de déformations et de raccourcis. La mémoire se fragmente, s’efface partiellement ou totalement, voire se renverse. Face aux mêmes dilemmes, il ne reste alors plus aucune trace des périls, des écueils et des résolutions à envisager. Le mode d’emploi a disparu dans les limbes du temps, et le danger menace de frapper à nouveau…


C’est sur ce constat d’échec que se réveille un beau matin la société de Terra, qui fait soudainement face à un double péril. D’étranges machines métalliques se sont réveillées qui ravagent tout sur leur passage, et les cristaux, principale ressource énergétique du continent, viennent à manquer. La panique fracture la population entre adeptes de la Constance, sorte de religion institutionnelle prônant l’inaction, et les adeptes de l’Altruisme, courant de pensée visant à l’entraide et à la fondation d’une nouvelle société basée sur l’action concrète.

A écouter en lisant le test.

Les singuliers pluriels.

C’est dans ce monde en proie aux doutes, où tout doit se réinventer sous peine de disparaître, que vous dirigez votre petite troupe de personnages. Une guilde de joyeux zèbres qui dénotent tous avec l’ordre habituellement établi. Sans vouloir être exhaustif de peur de vous gâcher la découverte, portraitisons quelques-uns de ses membres. Moshang, le mercki – un rhinocéros anthropomorphe – qui s’est toujours rêvé mage quand sa race se charge habituellement de la manutention et de la construction. Syl, la karsak – une renarde anthropomorphe – dont le destin était de devenir une grande invocatrice mais qui aura fait brutalement face à l’échec scolaire. Ou encore le poétique et mélancolique Alto, folivora – un paresseux anthropomorphe – dont l’espèce est vouée à s’éteindre avec lui, ce qu’il l’accepte avec une sagesse émouvante.

 » Nous les rencontrons, dans toute leur complexité, découvrons leur épaisseur et nous nous attachons fatalement à ces parcours écorchés qui racontent si bien le poids des carcans sociaux dans lesquels ils évoluent.« 

Une galerie de héros accidentés, atypiques et dissonnants qui tranche avec les archétypes et incarne une certaine fraicheur grâce à sa singularité. Le chemin faisant, leur background se précise, leurs attentes se concrétisent ou s’idéalisent et leur identité se dévoile. Nous les rencontrons, dans toute leur complexité, découvrons leur épaisseur et nous nous attachons fatalement à ces parcours écorchés qui racontent si bien le poids des carcans sociaux dans lesquels ils évoluent. Des prisons de l’esprit qui font écho aux nôtres avec une finesse toute particulière.

Mais cette patine dramatique, un rien mélancolique, n’est qu’un des visages de Terra Memoria. Ce lyrisme assumé est contrebalancé avec autant de justesse par un humour omniprésent qui prête à sourire tout au long de l’aventure. Difficilement isolable, cette humeur se manifeste par un ensemble d’éléments qui participent d’une atmosphère agréable et légère. Le design et le nom des ennemis, les dialogues entre les personnages, la musique aux tonalités guillerettes, l’omniprésence des poules… (sérieusement La Moutarde, c’est quoi le délire avec les poules, nom d’un gallinacé ?)

Harmonie chaotique.

Son propos sur l’identité, Terra Memoria le file jusque dans son système de combat. Pris individuellement, les multiples acteurs sur lesquels repose l’aventure détonnent, comme autant de notes mal arrangées sur la partition du monde. Des notes éparses et chaotiques, qui finissent par se trouver, unies par le hasard et le vent du changement. Miraculeusement, de ces faiblesses et ces failles surgit une petite musique. Un rien de mélodie fragile, hésitante et maladroite, qui se joue timidement. Une pulsation désordonnée, qui bourdonne et qui vibre, suivant un tempo secret qui sourd de ces âmes en quête de repères. Et l’histoire devient un prétexte charmant pour raconter la douce mélopée née de l’union de ces forces solitaires et fragmentées.

Traduire cette idée en termes de gameplay passe par l’empilement astucieux des mécanismes mis à disposition des joueurs. Le combat suit un système de timeline, qui ressemble peu ou prou à une portée sur laquelle s’intercalent les personnages jouables et les mobs. En fonction des coups assénés dans leurs faiblesses, le rythme change et les tours des mobs sont repoussés de plusieurs temps sur la mesure. Cette pulsation devient alors un élément subtil du jeu, qu’il faut manier avec astuce en coordonnant de concert les différentes actions des protagonistes. Tout un ensemble de strates qui mime la grammaire musicale et vient versifier le message porté par la narration.

Mais l’élément le plus en phase avec cette écriture des personnages réside dans le système de synergies. Lorsque vous lancez un combat, vos personnages évoluent en duos indissociables. Des associations aléatoires qui permettent de renouveler les mécaniques de jeu en apportant une variété de morphs aux compétences propres à un attaquant. Alto transforme les attaques en soin, Edson change les attaques monocibles en attaques de zone, et inversement, et Opale a la capacité de changer l’élément de frappe d’un personnage. Comme la variation d’un chant plaqué sur le même thème, qui se calque de mieux en mieux à la mélodie après chaque combat remporté. Terra Memoria, ou l’harmonisation des esprits et des cœurs.

Zénitude et apaisement.

Ce flow qui s’impose naturellement après quelques heures de jeu transparais finalement tout au long de votre périple. Terra Memoria est un ruisseau qui s’écoule à un rythme régulier, sans heurts ni turbulence. La trame suit tranquillement son cours, ne déborde pas des limites qui lui sont définies, ne cherche pas à perdre le joueur, ni à provoquer des bouleversements rocambolesques. Tout au plus, quelques idées surprenantes et incongrues, quelques clapotis à la surface de l’eau, viendront animer ce miroir apaisé. Des idées séduisantes qui règlent bon nombre des écueils habituels aux JRPG, trop souvent alourdis artificiellement par des systèmes inutilement complexes. Ici, pas de menuing à apprivoiser, pas de gestion des talents ou des compétences, pas de séances de grind à n’en plus finir. Tout concoure à l’équilibre pour vous faire passer un moment relaxant et agréable.

La Moutarde aura définitivement pensé à tout. Et c’est cette somme de belles attentions qui rend ce jeu si gracieux. C’est bien simple, j’ai l’impression que quoi que vous fassiez, rien n’est irréversible, et rien n’est grave. Vous avez manqué un passage important de l’aventure, un PNJ central pour une quête secondaire ? La voyante des actes manqués pourra gratuitement vous renvoyer dans la zone concernée en vous donnant de précieux détails au passage. Vous manquez de vitalité pour passer un ennemi plus corsé que les autres ? Vous n’aurez qu’à confectionner quelques recettes au feu de camp pour voir votre vie max augmenter de quelques précieux points. Vous manquez de punch pendant les combats ? Il y a forcément un pin’s (seul objet équipable du jeu) pour régler ce manque de stats.

Et quand bien même votre arrivée dans une nouvelle zone pourrait vous placer dans l’inconfort face à tant de nouveautés à découvrir, un guide très amusant et instructif est à votre disposition. Dès votre entrée dans les lieux, il vous suffira de consulter une statue indicatrice pour obtenir la double page propre au secteur. Vous en apprendrez alors davantage sur la faune, la flore, les lieux importants et les légendes locales qui vous mèneront vers des easter eggs amusants à chasser et à révéler. Une simplicité appréciable sur la quinzaine d’heures que dure le jeu et qui devrait vous permettre de faire une pause bien sympathique entre deux gros titres.


Au delà de son histoire et de sa narration, au demeurant très appréciables, Terra Memoria est avant tout un groupe d’individualités instables qui concoure à l’harmonie par la rencontre de ses différences. Un objet surprenant, à la croisée du jRPG et de la sociologie, qui fera tout pour vous offrir un moment agréable en compagnie de sa communauté de joyeux zèbres.


POUR

  • Système de combat basé sur les faiblesses adverses qui influent sur la timeline.
  • Vie qui se régènère toute seule à l’issue du combat et absence de points de mana à gérer = toujours dans l’action
  • Cuisiner et manger permet d’augmenter la vitalité des personnages de manière définitive.
  • Monter un feu de camp permet de passer la nuit et d’emmagasiner toute l’expérience acquise durant la journée.
  • Système de synergies aléatoires entre deux personnages avec possibilités d’exclusion de formation.
  • Voyante des actes manqués pour ne rien oublier en chemin
  • Guide régional qui se complète à l’entrée dans une nouvelle zone et nous donne des indications sur le secteur, ses activités et quelques recettes de cuisine.
  • Mécanique des pin’s.
  • Musique avec des instruments exotiques maîtrisés par Yponeko.
  • Ces gens aiment définitivement les poulets.
  • Humour.
  • Système de raccourcis : enfants qui montrent le chemin
  • Urbanisme de la ville de Caumanse.
  • Pex rapide, pas besoin de grind les niveaux pendant des heures.

CONTRE

  • Effet statique : deux pieds collés au sol et collisions des hit boxes avec l’environnement.
  • Changer de pin’s n’est pas toujours pratique en raison de la difficulté à comparer les stats à la volée.
Note testeur 08 sur 10
Note RPG 3 sur 5

Furvent
Furventhttps://maitregeek.fr
Rédacteur et traducteur. Amoureux de RPG depuis toujours. Amateur de belles histoires. Chasseur de succès en quête du sacro-saint gold.

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L'archiviste

Avec un tel retour, je me laisserai presque tenter par ce jeu qui à la base ne pouvait pas m’attirer. Merci Furvent.

Oublier son passé, c'est prendre le risque de le voir se répéter. Ce qui devient un vrai problème quand la société toute entière s'est refondée autour de la transmission orale des savoirs et s'est mise à dédaigner les livres pour les mettre au rebut....Terra Memoria
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